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Alice Nicolle

Alice Nicolle

Avril 2014

LES SEPT PAS VERS LA GRACE


Comment avez-vous écrit ce livre et pourquoi une version bilingue ?

Ce livre est né il y a plus de 20 ans (entre 1988 et 1993) d'une thèse de doctorat, intitulée « L'Expé-rience mystique de Simone Weil : un type nouveau de sainteté ».
Quelques mois avant la soutenance de cette thèse, alors je vivais retirée au milieu d'un vignoble en Provence et dans un moment où je me sentais très seule dans mon travail, je reçois un coup de fil, tombé du ciel (m'a-t-il semblé) : c'était un moine-ermite, qui vivait dans une montagne à Sonoma en Californie. Il connaissait l'œuvre de Simone Weil et s'en nourrissait. Il avait appris qu'une étudiante de Julia Kristeva à l'université Paris VII travaillait à une thèse sur son expérience mystique : il m'a demandé si je voulais bien lui envoyer quelques pages de mon travail. Je lui ai répondu que je n'avais rien de prêt, rien de fini.... sauf une étude annexe, que je comptais joindre à ma thèse, sur les étapes de la progression spirituelle. Elle ne faisait pas partie du travail de thèse à proprement parler, mais je l'avais rédigée en 3 mois, après plus de cinq ans d'immersion dans la pensée de Simone Weil et il me semblait qu'elle témoignait de la cohérence de son expérience mystique. Quelques mois plus tard il m'en envoyait une traduction.
Il est venu me rendre visite en Provence à trois reprises et j'ai passé quelques temps chez lui à Sky Farm, dans cette « ferme du ciel » où il cultivait les choses de l'âme sur sa montagne de Sonoma. Longtemps il m'a envoyé, fidèlement, accompagné de petits mots, des articles qui touchaient de près ou de loin Simone Weil, et c'est ainsi que j'ai reçu une petite carte avec un poème de Simone Weil, La Porte. Un jour il ne m'a plus rien envoyé. C'est par internet que j'ai appris bien plus tard qu'il était mort le 12 mai 2012.
J'ai commencé à me préoccuper de la publication de ce texte en mai dernier après qu'il soit resté dans mes tiroirs pendant presque 20 ans. Pendant toutes ces années je n' y avais plus pensé, sinon à quelques moments de grande détresse où j'ai pu éprouver son pouvoir réparateur. Relisant alors la traduction du père Dunstan j'ai eu le sentiment qu'elle donnait du relief aux propos de Simone Weil, par sa simplicité : il me semblait qu'elle offrait un éclairage encore plus net à sa pensée.
L'été dernier je suis venue à Patmos avec ce manuscrit que je voulais relire et j'ai rencontré Lyn YIP, Elle vivait jusqu'ici à New York et venait de s'installer à Paris. J'ai lui ai parlé de Simone Weil, de ce qui m'avait amené vers elle : elle a été touchée par la beauté de la traduction du père Dunstan. C'est à elle que j'ai confié la traduction délicate du poème La Porte (volume 2) ainsi que de la préface et des annexes des deux volumes.

Quels sont ces Sept pas ? (1)

Dieu nous a donné l'Etre ; nous devons le lui rendre dit Simone Weil. C'est ce qu'elle nomme la dé-création.
Le volume I retrace les deux premières étapes de ce processus de restitution de notre âme charnelle à Dieu : Purification et Négation de l'Ego. A l'intérieur de ces étapes, six pas : l'attention, le vide, le désir, constituent la première étape ; le consentement, le détachement et l'effacement s'inscrivent dans la deuxième étape. Ce n'est qu'à partir de ces opérations (qui ne se font pas sans une certaine souffrance, comme quand on arrache les mauvaises herbes d'un champ) que nous pourrons commencer à voir et accepter la réalité du monde dans lequel nous vivons (ce monde que Platon décrit comme la « Caverne »)(2) et accéder à la joie surnaturelle qui réside dans la contemplation du « soleil de la Vérité ».
Le deuxième volume est consacré à la troisième étape : c'est le dernier pas, un pas de géant : la connaissance et l'acceptation du malheur. Cette étape est l'achèvement et le couronnement du processus de dé-création. J'ai donné à ce volume le titre du poème de Simone Weil que m'avait envoyé le père Dunstan. Cette « porte » est « la porte étroite » dont parle le Christ (Mathieu, 7,13), la porte par laquelle certains d'entre nous, doivent passer à sa suite. C'est la mise à mort de « l'âme charnelle ». C'est la porte du malheur qui peut devenir, un accès direct à la joie surnaturelle pour celui à qui le Christ se révèle. Simone Weil sait de quoi elle parle : elle est passée par là.

Qu'apporte sa réflexion très personnelle sur la place du malheur dans le christianisme ?

J'ai consacré le dernier chapitre de ce volume à la place tout particulière du malheur dans le christianisme. La connaissance du malheur est la clef du christianisme, écrit-elle dans Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu.
C'est en philosophe qu'elle a examiné en profondeur les fondements de la religion chrétienne. Son point de vue extérieur (dans la mesure où elle n'a pas été élevée dans cette religion), lui permet de comprendre ce qu'elle apporte de particulier à côté des autres religions et de mesurer ce qui en fait la grandeur.

Mais c'est aussi un point de vue intérieur : la rencontre de Simone Weil avec l'Etre du Christ à travers sa propre expérience du malheur l'amènera à reconnaître comme sienne cette religion. Aussi son témoignage est-il pour des chrétiens d'une valeur incomparable.

Résumer Simone Weil à la philosophie ou à l'engagement politique n'est-ce pas passer à côté de son apport Spirituel ?

Quand on regarde la vie de Simone Weil la lumière de ses écrits on s'aperçoit qu'il y a une unité entre son évolution spirituelle, sa pensée et la moindre de ses actions. Sa « conversion » bien qu'elle se soit faite hors de l'Eglise et qu'elle soit restée secrète sa vie durant (3), témoigne en effet d'un cheminement spirituel singulier qui l'a conduite à des actions dont le mobile était toujours noble et à des écrits qui sont un « dépôt d'or pur ».
Née dans une famille juive et éduquée dans l'agnosticisme le plus complet, Simone Weil a cherché seule son chemin. Ce chemin l'a conduite ... à sa grande surprise, au Christ en personne !
Toute sa vie elle a désiré la Vérité et la justice. Le travail intérieur et l'engagement politique sont chez elle étroitement liés. Et si l'on prend le mot « politique » au sens que lui donne Platon dans La République, on peut penser que Simone Weil correspond tout à fait à cette image du philosophe gardien de la Cité, sur lequel doit s'appuyer la Res publica. Ses choix ont été parfois mal compris parce qu’ils n'ont jamais été des engagements partisans. Elle refusera toujours de s'affilier à un parti, ni même de se reconnaître dans un groupe social : elle apporte un point de vue critique et universel de philosophe à toutes les expériences particulières qu'elle vit, désireuse avant tout de défendre toutes les causes qu'elle a cru justes, sans pourtant se cacher l'impossibilité de pouvoir faire le Bien dans le monde de la Caverne (4).
C'est ainsi par exemple que la plus brillante des élèves du philosophe Alain au lycée Henri IV, renonce un temps à son poste de professeur de philosophie pour aller travailler à la chaîne chez Alsthom puis chez Renault afin de connaître dans toute sa réalité la condition ouvrière (5). On la verra, deux années plus tard, en 1936, rejoindre les ouvriers de la métallurgie afin de les soutenir dans leurs revendications sociales. Cette même année elle partira en Espagne se battre aux côtés des républicains qui s'insurgent contre la dictature Franquiste.
Sa courte carrière de professeur de philosophie, est interrompue dès 1938 par ces maux de tête qui pendant 14 ans ont pesé sur sa vie, elle se termine définitivement en 1941 avec la radiation des juifs de l'Education Nationale. Elle saisit cette opportunité pour connaître et partager aussi la vie rude des ouvriers agricoles.
Elle entre dans la Résistance et rejoindra De Gaulle à Londres. Là, rongée par le sentiment de son inutilité et de son impuissance face aux horreurs de cette guerre, elle finit par mourir à 34 de chagrin et d'épuisement, refusant de se nourrir et minée par la souffrance (6) et la tuberculose. J'ai retracé dans La Trollesse le parcours de cette vie incandescente dont j'ai découvert avec émerveillement le ressort secret : elle peut avec raison paraître tout à fait folle et décousue à celui qui ignore la force de l'élan spirituel qui l'anime. Les Sept Pas vers la Grâce en donne les clefs.

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(1) Thérèse d'Avila dans Le Château intérieur a parlé des sept demeures du « château » dans lesquelles l'âme se perfectionne avant d'atteindre l'union avec Dieu.

(2) Cf. le mythe de la Caverne dont parle Platon au livre VII de La République : j'en propose un commentaire qui s'appuie sur l'analyse qu'en fait Simone Weil dans un livre dans lequel je retrace le parcours spirituel singulier de Simone Weil (La Trollesse, 2009, Editions Docteur angélique).

(3) Elle la relate dans l'autobiographie spirituelle qu'elle envoie au père Perrin avant de partir pour l'Angleterre, avec l'idée d'une mort certaine (in Attente de Dieu).

(4) Dieu seul est bon et donc capable de Bien... Dans « la Caverne » le Bien et la Vérité sont impossibles. La philosophe platonicienne qu'elle était, savait bien qu'on ne peut y avoir accès mais la chrétienne qu'elle est devenue a découvert qu’y tendre conduit à se délivrer des mensonges et illusions et d'accéder dès cette vie à la joie surnaturelle d'union avec Dieu.

(5) Une expérience qui l'a brisée par le côté dégradant de ce travail. Elle en parle dans La Condition ouvrière.

(6) je parle de ce poids qu'elle a porté toute sa vie sans se plaindre et sans vouloir ralentir son activité, ces maux de tête qui l'ont fait souffrir à partir de l'âge de 21 ans et qui pendant les dix dernières années l'ont torturée jour et nuit.