Bruno DUFAY

TRANSMETTRE LES VALEURS CHRETIENNES
Interview du 10 janvier 2013

Qu’est-ce que les valeurs chrétiennes ?

Les valeurs sont des idées importantes qui sont à même de guider des vies et de souder des communautés. J’en distingue dans mon livre plusieurs familles (religieuses, sociales, relationnelles, morales et celles relatives à la dignité et à la liberté humaines) qu’il serait un peu long de décrire ici. Limitons-nous aux plus connues du fait de leur laïcisation : Liberté, égalité, fraternité, équité, dignité de la personne humaine, universalité. Il y a trois attitudes face à ces idées : 1. y adhérer intellectuellement, 2. les mettre en pratique, 3. les vivre chrétiennement. Le fait de vivre ces valeurs chrétiennement les transforme dans leur portée. C’est non seulement la valeur des valeurs qui est plus grande, mais leur fond est différent lorsqu’elles sont vécues sous le regard de Dieu. La solidarité et la fraternité deviennent charité et amour du prochain ; l’égalité et l’équité deviennent justice et pardon ; l’humanisme devient amour de Dieu et de toute sa création.

L’expression « vécues sous le regard de Dieu » doit se comprendre à la lumière de cette phrase de Jésus : « N'allez pas croire que je sois venu pour abolir la loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir. Car en vérité je vous le dis : si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas au Royaume des cieux ». L’amour, au sens christique du terme, transcende les valeurs et rend les règles, les lois et autres obligations morales superflues. On retrouve ici le malentendu qui existe entre les individualistes non croyants et le catholicisme. Les premiers ne voient dans le second que contraintes et limitations alors que celles-ci s’effacent derrière l’amour de Dieu et du prochain. Beaucoup de gens se battent contre des caricatures du christianisme.

Qu'est-ce que la foi, la croyance et vivre les valeurs ?

Le mot « croyance » a deux sens différents. Il désigne l’objet de ce que l’on tient pour vrai ou bien l’action de croire. Dans son premier sens, le mot est souvent au pluriel : on parle des croyances d’un individu, d’une société ou d’une civilisation. C’est son deuxième sens qui se rapporte au contexte religieux. L’action de croire suppose un degré d’engagement personnel variable : d’un côté, la croyance-opinion est liée au jugement subjectif qui s’appuie sur l’observation et la réception d’informations. À l’autre extrémité, la croyance-foi est un acte de volonté qui s’appuie sur une expérience spirituelle. Entre les deux, on trouvera divers niveaux de croyances plus ou moins ferventes. Croire en Dieu peut se résumer à penser que Dieu existe comme une entité abstraite, ou bien être certain que Jésus-Christ est ressuscité, ou encore avoir une forte conviction et un engagement si forts que l’on cherche à le connaître et à suivre ses instructions. La croyance-foi devient foi véritable lorsque la croyance est fervente et lorsque la confiance en Dieu est totale.

Vivre les valeurs chrétiennes nécessite-t-il d’avoir la foi ?

Sans doute non, la foi explicite la plus fervente n’est pas requise, mais vivre les valeurs chrétiennes, ce n’est pas de l’humanisme humanitaire qui se contente de donner un peu d’argent ou de temps quand on peut. Ce n’est pas se contenter de porter secours à l’Homme, ou rester dans la tiédeur de la bien-pensance. Vivre les valeurs chrétiennes, si on les comprend dans le sens ci-dessus, c'est chercher la sainteté au quotidien. Encore faut-il les connaître et en saisir la profondeur ; il faut en comprendre la beauté et la puissance, car elles conduisent à essayer de devenir un artisan de paix et de charité au quotidien. Alors oui, je crois que vivre les valeurs chrétiennes consiste à vivre en chrétien, car cette vie-là n’est possible qu’en se nourrissant de l’exemple de Jésus-Christ et avec l’aide de Dieu. Il s’agit d’une certaine foi, qui n’est peut-être pas la foi explicite, mais qui est bien active.

Est-ce que la raison peut conduire à la foi ?

Il découle de ce qui précède que « vivre les valeurs », « croire » et « avoir la foi » ne sont pas des actes identiques, mais qu’il existe des liens forts entre eux. On entend que la vraie foi ou foi explicite est une expérience spirituelle, cette rencontre après laquelle Jésus Christ Vivant devient une présence évidente. On dit souvent que cette foi-là est la seule qui vaille. J’observe que nous pouvons nous trouver à des stades très variés : dans une foi plus ou moins fervente (sommes-nous à même de déplacer les montagnes ?), dans une confiance plus ou moins grande (sommes-nous prêts à tout abandonner ?), avec une croyance plus ou moins complète (qui est sûr de connaître et croire réellement en tous les dogmes de l'Église ?), ou même dans une vie plus ou moins emplie des valeurs chrétiennes (quelle est notre réelle capacité à pardonner ?).

La foi est multiforme, elle est un continuum et un parcours personnel, ce qui la rend difficile à cerner. Chacun la vit aussi de manière différente aux différents stades de son existence. Le doute peut prendre de l’ampleur chez les croyants à certaines périodes ; la compréhension peut venir doucement au fil du temps ; des expériences de vie peuvent être l’occasion de rencontres avec le Christ. Je suis persuadé que toutes ces manières de vivre la foi ont leur valeur propre aux yeux de Dieu et que le plus important est de ne jamais cesser de cheminer de l’un à l’autre. Je suis persuadé aussi que chaque personne sera jugée selon son mérite et la sincérité de sa recherche.

 

Observe-t-on un problème de transmission aujourd’hui ?

La sociologie montre que la transmission ne fonctionne plus comme dans les temps passés. La famille n’est plus un cadre de transmission naturel ; les enfants veulent se déterminer par eux-mêmes et en fonction de leur environnement (au sens large du terme, à l’heure des réseaux sociaux). Il faut donc chercher des voies nouvelles. Ma recherche m’a conduit à réaliser qu'un nouveau schéma se met en place. Dans les sociétés traditionnelles, on avait le schéma :

Pratique et vie en communauté (paroisses, familles) -> Croyance et adhésion aux valeurs -> Foi

Dans la société individualiste, on verra apparaître un schéma différent :

Adhésion aux valeurs -> Rapprochement d’avec une communauté -> Croyance -> Foi -> Pratique


Je pense que le second est plus « efficace » et correspond mieux aux individus du 21ème siècle qui veulent comprendre, qui veulent choisir en toute connaissance de cause et qui questionnent tout ce qui passe à leur portée. L’adhésion aux valeurs est la première étape ; cela exige de l’individu qu’il les accepte à titre personnel. Puis dans un deuxième temps il fera reposer ses comportements sur ces valeurs car elles sont les seules à conduire au bonheur sur Terre. Et un jour, sa vie tout entière s’accrochera à ces valeurs comme des repères solides et avec la portée donnée par Jésus Christ. Le rapprochement d’avec une communauté s’effectue par la volonté de traduire ces valeurs en actes concrets ; on pense à des associations caritatives, à des mouvements divers et variés qui ne demandent pas forcément un fort engagement religieux. Cette vie à plusieurs autour de valeurs partagées, enclenche un mouvement de croyance, qui mène à la foi véritable, et alors seulement la pratique religieuse prend son sens et devient un besoin.

Vous proposez finalement le chemin des valeurs vers la foi ?

Le passage de « vivre les valeurs » à « croire en Dieu » et « avoir la foi » est très possible si on approfondit le sens de ces valeurs, si on s'intéresse à leur auteur et si on réalise qu'il est impossible de les vivre sans croire en Dieu. J'ajouterai que la vision de l'humanité dans son avenir lointain avec les risques qu'elle encoure à s'éloigner de Dieu (destruction massive, pollution de la planète…) donne une perspective supplémentaire dans cette relation entre « vivre les valeurs », « croire » et « avoir la foi ».

Il me revient constamment l’idée qu’il faut comprendre pour croire et qu’il faut croire pour comprendre (tirée de Saint Augustin). Et récemment j’ai relu les Pensées de Pascal dans lesquelles on peut lire :

« Ceux à qui Dieu a donné la Religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais ceux qui ne l’ont pas, nous ne pouvons que la leur donner par raisonnement en attendant que Dieu la leur donne par sentiment. »

Cette citation m'a convaincu que la raison peut conduire à une certaine forme de foi et que la foi est un don de Dieu ; donc, nous autres humbles transmetteurs ne pouvons guère la transmettre. Nous devons nous contenter de mettre en place les conditions pour que cette foi puisse être reçue un jour. La connaissance transmise peut aider à faire comprendre la valeur des valeurs et aussi supprimer des obstacles sur la route. Ces obstacles sont de plus en plus nombreux ; ils sont dressés par la société de la communication et de l’abondance ou par l’histoire de la personne elle-même.

En conclusion, je crois pouvoir dire que la foi est à la fois raison, savoir, expériences spirituelle et terrestre, sentiment et volonté, en même temps qu’elle est un don de Dieu. Pourquoi certains la reçoivent-ils et d’autres pas ? Pourquoi certains semblent-ils l’avoir reçue au berceau, sans se poser de questions ? Pourquoi certains la connaissent-ils subitement, sans ou avec peu d’efforts ? Personne ne le sait ; mais Dieu n’oubliera personne. Il n’est pas possible de détacher cette discussion du contexte sociologique et de l’histoire de chaque personne. D’où cette humilité indispensable aux transmetteurs qui ne jouent qu’un modeste rôle dans le développement de la foi aux côtés de celui de l’Esprit Saint. J’aimerais que cette humilité soit partagée par tous les croyants à la foi fervente. Ces derniers qui ont la chance d'avoir connu cette expérience de foi explicite perdent parfois de vue que d'autres formes de foi sont aussi valides aux yeux de Dieu, que beaucoup de personnes sont en recherche et font des efforts pour la connaître et vivre les valeurs chrétiennes : il serait très déplacé de parler de niveaux ou de qualité de la foi et de juger de celle des uns et des autres.

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